Connaissance du Patrimoine Culturel Local
Le Petit Journal
de Sainte-Ménehould
et ses voisins d'Argonne
Edition régulière d'un bulletin traitant de l'histoire, des coutumes et de l'actualité.


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La tombe de Paul Simon de La Neuville-au-Pont.

Un des blessés du massacre des mobiles à Passavant.

   par John Jussy



Dans les années 80, le Châlonnais Jacques Fontugne arpentait les cimetières de la région à la recherche de tombes, surtout celles de soldats de l’épopée napoléonienne. Il grattait, déchiffrait, inscrivait... Il m’a donné bon nombre de ses écrits, et parmi ceux-ci se trouve la description des tombes de soldats blessés à Passavant.
Le massacre des mobiles de Passavant, en ce 28 août 1870, fut un épisode tragique de cette guerre du second empire. Beaucoup de ces jeunes soldats furent tués, d’autres furent blessés, prisonniers. On retrouve l’histoire de ces jeunes dans le cimetière de La Neuville-au-Pont.

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Paul Julien Simon était né le 6 avril 1848 à La Neuville-au-Pont ; il fut un des blessés du massacre de Passavant. Il avait, lors du tirage au sort, échappé au service militaire mais devait, comme tous les jeunes dans son cas, faire partie de ce que l’on devait appeler des gardes mobiles, des unités créées en 1888. Le début de la guerre de 70 fut un désastre et on appela les gardes mobiles pour défendre la patrie. Après la parution du décret du 16 juillet 1870, Paul Simon a dû recevoir l’ordre de gagner Vitry-le-François pour former la 1ère batterie d’artillerie de la Marne. Ces hommes n’avaient pas reçu, par faute de temps, comme signe distinctif une cocarde tricolore ornée d’un filet rouge ou doré. Paul Simon avait 22 ans...
Devant l’avance allemande, il fut décidé ce 23 août, d’évacuer Vitry-le-François et de détruire tout matériel utile à l’ennemi. Le 25 août les mobiles quittaient la place : 1500 hommes n’emportant que leur fusil et 12 cartouches. C’est la route de Sainte-Ménehould que le groupe devait emprunter et c’est à la ferme de La Basse, entre Dampierre-le-Château et Sivry-Ante, que les mobiles rencontrèrent les Allemands. Le combat fut un désastre ; de nombreux mobiles furent tués [1], les prisonniers furent emmenés en colonnes sous bonne escorte, les blessés transportés dans une charrette ; on se dirigea vers Villers-en-Argonne et Passavant.
Les prisonniers avaient quitté les dernières granges de Passavant quand le massacre commença. Il était plus de 17 heures.
Qu’arriva-t-il à Paul Simon ? Fut-il dans ce groupe sur lequel les Allemands tiraient sans cesse ? Par chance le livre d’Alain Patoux [2] va nous donner la réponse. A la page 67, nous pouvons lire le témoignage de ... Paul Simon justement : « J’étais sur la fin du pays quand les coups de feu tombèrent drus comme grêle »  ; c’était le massacre qui avait commencé, un peu plus loin. Paul Simon s’abrita sous des chariots le long de la route et vit un de ses camarades qui avait essayé de fuir ramené à la colonne. Paul Simon remontait le talus de la route quand un cavalier lui lança un coup de sabre sur la tête et l’étourdit. La pauvre reçut encore un coup de crosse à la figure.
Paul Simon fut alors sauvé par l’instituteur qui le « ramassa », car tous les habitants du village essayaient tant bien que mal de secourir les mobiles, de leur donner à boire et à manger. « Un chirurgien allemand vint sur place me recoudre mes blessures » écrira encore le mobile de La Neuville-au-pont. Puis il fut reconduit à la mairie où il reçut des soins de l’instituteur et de la population.
Qu’arriva-t-il ensuite ? Les prisonniers partirent vers Triaucourt, Saint-Mihiel, Remilly et durent monter dans des wagons à bestiaux avec comme destination l’Allemagne, Berlin ou Glogau : [3] où était le camp qui les attendait.
Paul Simon est-il allé dans ce camp ? La guerre ne dura pas et les prisonniers revinrent en France dès avril 1871. L’inscription funéraire de la tombe de Paul Simon nous dit simplement qu’il est décédé en 1931, à l’âge de 83 ans. Il était donc retourné à La Neuville-au-Pont, décoré de la médaille militaire, vivre sa vie : il se maria en 1874 avec Marie Louise Virginie Gesson, de 4 ans sa cadette, et eut des enfants.
La Neuville-au-Pont était alors un gros village avec plus de 1200 habitants, la troisième plus grosse commune (après Vienne-le-château) de l’arrondissement quand Sainte-Ménehould comptait... 4300 Ménéhildiens.
A la Grande Guerre, Paul Simon avait plus de 60 ans, mais, malgré l’atrocité du conflit, il n’avait pas oublié la tragédie de Passavant. En 1928, alors que partout on élevait des monuments en hommage aux morts de la Grande Guerre, Paul Simon fit faire, avec Jules Courbet et Emile Martin, eux aussi rescapés du massacre des mobiles, et Charles Letache, un monument, simple obélisque de pierre, en souvenir des Français morts au cours des différents conflits antérieurs à la guerre de 14-18. Toute l’histoire de France se déroule sur la pierre : Algérie 1840, guerre de Crimée, campagne d’Italie en 1859 où Valentin Letache fut tué à Solférino à l’âge de 19 ans, Cochinchine et pour finir la guerre de 1970 avec jules charbonnier, tué à Gravelotte. Gravelotte, c’était après la victoire de Mars-la-Tour une bataille qui fut, ce 18 août, une terrible défaite française.
Tout en haut de La Neuville-au-pont, le cimetière avec ses grands monuments d’un autre âge raconte toutes ces histoires. Les tombes sont toujours là, même si depuis le passage de Jacques Fontugne le monument de la famille Simon-Gesson a perdu sa croix. Mais personne n’a oublié ces tragédies et, en 1931, on a écrit sur le monument de Paul Simon : « Blessé en 1870 à Passavant », une inscription dont Jacques Fontugne a dit : « Comme un titre de gloire bien légitime ». C’était 61 ans après, et malgré les atrocités de la Guerre 14-18, personne n’avait oublié...
John Jussy

Notes

[1 : Parmi les tués de la Basse figure Léon Soudant de La Neuville-au-Pont.

[2 : Le massacre des mobiles de la Marne à Passavant de A. Patoux, monographies des villes et villages de France, 2003. (Réédition à l’initiative de la Bouquinerie de l’Argonne).

[3Glogau, aujourd’hui Glogow, est une ville de Pologne, province de Basse Silésie.

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